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Entretien avec Jérôme Hoessler, psychologue-clinicien, expert en traitement des addictions.

Entretien avec Jérôme Hoessler, psychologue-clinicien, expert en traitement des addictions.

07/03/2022

Bonjour Jérôme, 

Vous êtes psychologue-clinicien formé aux sciences du comportement et à la psychologie cognitive, spécialisé depuis plus de 15 ans dans la prise en charge et le traitement des addictions, des troubles de l’humeur et des pathologies liées au travail. Vous avez développé une double expérience : celle du terrain clinique, en travaillant notamment dans le service d’addictologie de l’hôpital Paul Brousse et dans une clinique psychiatrique et celle de l’entreprise, passant 7 ans dans le groupe Thales sur des enjeux de sensibilisation, formation et accompagnement des troubles liés au stress. Aujourd’hui, vous vous êtes plus particulièrement concentré sur ce milieu de l’entreprise pour améliorer les comportements managériaux, accompagner le salarié en difficulté, prévenir les risques de burn-out et favoriser une culture managériale plus à l’écoute.

jerome hoessler
Jérôme HOESSLER

Comment passe-t-on des troubles de l’humeur en milieu hospitalier, auprès des particuliers, au monde de l’entreprise ?

Jérôme : Je me suis intéressé au monde de l’entreprise de façon assez naturelle puisque si certains des patients que je suivais parlaient de leur travail avec fierté, plaisir ou enthousiasme, d’autres, en revanche en parlaient de manière plus douloureuse : pression incessante, course aux résultats, difficultés relationnelles, déconsidération, sentiment d’inutilité… Tout cela a naturellement éveillé ma curiosité et l’envie de découvrir d’un peu plus près l’entreprise.

Begood : Est-ce que le milieu professionnel entretient un environnement plus « oppressant » qui déclencherait des angoisses, des peurs, des tensions spécifiques ? Quelles différences percevez-vous dans votre pratique entre un stress professionnel et un stress déclenché dans son environnement personnel ?

Jérôme : Ce que j’observe, c’est tout d’abord la multitude de changements. Dans la sphère personnelle et familiale : changement d’écoles, d’amis, de conjoints, naissances, séparations, maladies, deuils… et dans la sphère professionnelle : premier travail, promotion, mobilité, virage professionnelle … Bref, le changement est une donnée inhérente à la vie d’entreprise et à la vie en générale. 

D’autre part, la qualité des relations, le besoin d’autonomie, de reconnaissance, le besoin de se sentir écouté et respecté, de se sentir utile … tous ces éléments ont leur importance aussi bien dans la sphère personnelle que professionnelle et jouent un rôle essentiel dans notre équilibre psychique. 

Finalement, il me semble que la question n’est pas tant d’identifier – même s’il en existe – les éventuelles différences entre sources de stress professionnelles et personnelles, que de s’assurer de ne pas se laisser déborder par elles. L’important est d’avoir des moments de calme ou de répits au travail ou dans sa sphère personnelle. Ce qui n’est pas toujours évident.

Begood : Justement, lorsqu’un stress apparaît, quelle est la part de notre personnalité, notre identité psychologique pour l’intégrer, y résister, et celle indépendante de notre carte mentale ? Est-on tous armés de la même manière pour gérer une situation de stress (surtout le chronique)

« Non, nous ne sommes pas tous égaux dans la manière de gérer une situation de stress »

Jérôme : Non, nous ne sommes pas tous égaux dans la manière de gérer une situation de stress. Des études ont montré que nos influences éducatives précoces, c’est à dire notre enfance, le discours parental, l’ambiance familiale, etc. influenceraient pour environ 50% notre capacité, une fois adulte, à faire face aux situations difficiles. Par exemple, si j’ai grandi dans une famille qui accordait trop d’importance au jugement d’autrui, qui avait peur de l’échec, peur du lendemain… et bien, ne soyons pas surpris si, adulte, je dois régulièrement faire des efforts pour ne pas me laisser submerger par l’anxiété et la peur d’agir. 

Nous sommes le fruit de notre histoire. Nos influences éducatives précoces nous laissent forcément et heureusement une empreinte.  Mais il n’y a pas de fatalité. Ces mêmes études montrent que nous avons une marge de manœuvre suffisamment importante pour modifier, corriger nos automatismes ou nos tendances qui seraient sources de souffrance. 

Begood : Quels sont les facteurs de stress récurrents que vous observez, et ont-ils évolué ces dernières années, sachant que la crise sanitaire que nous traversons a forcément un impact sur notre santé mentale.

Jérôme : J’observe que les salariés et notamment les Managers que je rencontre sont submergés, parfois dépassés par toutes les obligations et contraintes légales, financières, organisationnelles, techniques, opérationnelles et humaines dont ils ont la responsabilité. Certains me disent qu’ils ne trouvent plus le temps de bien faire leur travail. 

A cela s’ajoute la course à l’excellence, à la performance dans le milieu professionnel mais aussi dans la sphère familiale. On cherche à être, au-delà du meilleur salarié, l’ami, le père, la mère, l’épouse parfaite…bref, la charge mentale est bien réelle. 

Enfin et vous avez raison de le dire, la crise sanitaire que nous vivons alimente et accélère chez certains le sentiment d’incertitude et de perte de contrôle. Cela fait beaucoup d’irritants, de contraintes à gérer et dans le même temps moins de sources de plaisir disponibles pourtant nécessaire pour rééquilibrer et compenser les frustrations. Tout cela participe à une dégradation de la santé mentale chez de nombreux salariés.

Begood : Pourtant, le stress est un mal connu et presque reconnu aujourd’hui, avec les impacts sociaux et économiques qu’il engendre. Pourquoi la prévention est-elle encore loin d’être bien développée ? 

Jérôme : La France s’est intéressée au stress plus tardivement et plus négativement que certains de nos pays voisins. Les pays nordiques s’y sont intéressés plus tôt, dans les années 70, et de façon plus positive puisqu’ils ont abordé le sujet sous l’angle du bien-être au travail. En France, nous abordons le sujet plus tardivement et de façon plus négative puisque nous parlons de prévention des risques psycho-sociaux. Quoiqu’il en soit, je constate que de plus en plus d’entreprises cherchent à améliorer les conditions de travail de leurs employés et à prévenir les risques psycho-sociaux (burn-out, harcèlement, stress …) parce qu’elles ne peuvent plus, me semble-t-il, faire autrement. S’intéresser à la santé de son salarié, c’est s’intéresser à la santé de son entreprise. C’est un investissement intelligent. 

« Notre société n’encourage pas vraiment l’introspection ou l’écoute de soi »

Begood : Quels sont concrètement les signes avant-coureurs dont chacun doit être conscient, qu’ils soient liés au corps (douleurs), au cœur (émotions) ou au cerveau (facultés cognitives) ?

Jérôme : Etre conscient de ses signes avant-coureurs n’est pas si simple. Notre société qui a plutôt tendance à mettre au sommet de ses valeurs, des valeurs tels que l’effort et la performance, n’encourage pas vraiment l’introspection ou l’écoute de soi. De nombreux salariés m’expliquent qu’on leur a appris, enfants, à ne pas trop se regarder, à ne pas trop s’écouter, pour ne pas renvoyer, peut-être, l’image d’un adulte faible ou fragile. 

Pour revenir à ta question, ces signes avant-coureurs sont singuliers, personnels. Certains appartiennent au registre des signes physiques comme les douleurs au niveau du dos, les troubles digestifs, les tensions musculaires ou encore la perte de poids. D’autres signes sont psychologiques : tristesse, anxiété, baisse de la confiance en soi … On a aussi les signes comportementaux : repli sur soi, agacement, susceptibilité ou irritabilité majorée … ou encore les signes psychosomatiques ou émotionnels. Bref, la liste est longue, mais ce qui est important c’est surtout d’entendre et d’accepter, sans trop se raidir, les turbulences plus ou moins fortes que notre corps nous envoie. Ensuite, il faudra s’arrêter quelques instants pour d’une part identifier les éléments déclencheurs et d’autre part agir – parfois en se faisant aider – pour corriger et apaiser ce qui doit être apaisé. 

Begood : Cette faculté à reconnaître les sources de stress et les « gérer » peut-elle être développée dès le plus jeune âge ? S’améliore-t-elle avec l’âge et est-elle conditionnée aussi à son environnement social et culturel, et son éducation ?

Jérôme : Oui, nos aptitudes à gérer efficacement notre stress peuvent être développées dès le plus jeune âge et oui, elles peuvent s’améliorer en fonction de l’environnement dans lequel nous baignons, nous grandissons. 

Par exemple, en tant que parents nous devrions plus naturellement offrir la possibilité à notre enfant d’exprimer ce qu’il ressent, de l’encourager à mettre des mots sur ce qui le touche, le dérange ou l’agace. L’objectif n’est pas tant qu’il identifie parfaitement l’émotion que de lui montrer qu’il y a un espace ou une place pour les émotions. Dans le domaine de l’éducation, j’observe que certains maitres ou maitresses encouragent de plus en plus ces moments d’introspection en demandant aux enfants leur météo émotionnelle. Je trouve cela génial !

« En tant que parent nous devrions plus naturellement offrir la possibilité à notre enfant d’exprimer ce qu’il ressent »

Pour revenir à l’entreprise, je suis donc surpris quand certains salariés affirment que les émotions doivent rester sur le pas de la porte de l’entreprise. C’est absurde de tenir un tel discours puisque l’entreprise est un lieu de vie, un lieu d’existence, donc forcément un lieu où circulent la frustration, l’agacement, le découragement mais aussi l’envie, le plaisir et la fierté. 

Begood : Entre le stress des premiers hommes vivant dans un milieu sauvage et hostile et notre civilisation, a priori plus humanisée et sécurisée, la donne a changé mais le stress s’est renforcé. A chaque génération son nouveau lot de sources de stress, aujourd’hui les réseaux sociaux, alors même qu’on les sur-consomme ! Notre intelligence et notre vigilance ne s’est donc pas développée pour anticiper et se préserver des nouveaux fléaux numériques. Est-ce quelque chose que vous observez particulièrement ?

Jérôme : Vous parliez de nos ancêtres. A cette époque, pour survivre, ces derniers devaient soit fuir, soit combattre. Aujourd’hui, ces deux attitudes ne sont plus adaptées. Face à un client mécontent qui vous raccroche au nez, un collègue qui vous parle mal ou un chef qui vous infantilise en réunion, vous pouvez difficilement fuir ou prendre votre gourdin et taper !

Le danger, c’est que ces deux attitudes – de fuite ou de combat – peuvent se traduire aujourd’hui par des comportements soit passifs soit agressifs. Concrètement, celui qui adopte un comportement passif en réunion prend le risque d’être frustré à l’issue de cette réunion. Si ce même salarié réprime trop souvent ses émotions, s’il a trop tendance à se taire ou à prendre sur lui, il augmente aussi le risque, comme l’image de la cocote minute, d’exploser puis, peut-être, de s’en vouloir après coup. Bref, on voit bien que ces deux attitudes ne sont pas bonnes en termes de santé. 

Il y a un troisième comportement qui n’est pas inné mais qui s’apprend, qui est le comportement assertif ou affirmé. Il permet de développer des relations satisfaisantes au travail et dans la vie en générale et est, selon moi, l’outil le plus puissant pour gérer efficacement nos émotions.

L’autre élément que vous citez est l’invasion des réseaux sociaux. Sans faire le procès de ces outils, j’y vois néanmoins deux grands dangers : d’une part le risque de captation permanente et les dégâts, surtout chez les enfants, sur le plan attentionnel et émotionnel.

L’autre danger, c’est qu’a force d’être exposé – avec le développement de l’info en continu –  à de très mauvaises nouvelles, cela peut, d’une part majorer mon anxiété puisque j’entends que le monde dans lequel je vis est en effet dangereux, incertain et brutal. D’autre part, cela peut m’amener à prendre moins soin de moi, à m’effacer, à m’oublier. En effet, comment puis je m’autoriser à être bien dans ce monde aussi injuste ? Et pourtant, si l’on souhaite améliorer, même discrètement ce monde, il faut d’abord que nous prenions soin de nous-même.

Begood : Pour finir, quels seraient les trucs et astuces ou plus sérieusement les bonnes habitudes à mettre en place pour garder sa sérénité en toutes circonstances ?

Jérôme : Je ne suis pas forcément très à l’aise avec le mot sérénité ou encore l’expression     « lâcher prise » qui est très à la mode. La vie se chargera toujours de nous apporter son lot de mauvaises nouvelles et il faudra, d’une manière ou d’une autre, s’y confronter. 

Il existe aujourd’hui des outils : sophrologie, relaxation, méditation… et des professionnels de santé : psychiatre, médecin, psychologue… qui peuvent nous aider à traverser des périodes douloureuses.

Au-delà de toutes ces aides, voici deux conseils : le premier, c’est d’être autant que possible dans l’action. Par exemple, se fixer des objectifs simples et accessibles comme sortir, si possible tous les jours, 20 ou 30 minutes, idéalement dans des espaces arborés, dans des parcs, dans les bois. Etre dans l’action quelle qu’elle soit, physique, artistique, manuelle… pour ne jamais laisser toute la place à la rumination. 

Le second conseil, bien évidemment associé à la période que nous vivons, est d’essayer de maintenir nos liens sociaux. Parce que nous sommes envahis depuis plus d’un an d’informations anxiogènes, faisons l’effort de nous rapprocher de personnes qui nous apportent quelque chose de positif. Téléphonons et rencontrons celles et ceux qui nous font du bien afin de bénéficier de leur vitalité, de leur humour et de leur légèreté.

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