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Entretien avec Ilona Boniwell experte en psychologie positive.

Entretien avec Ilona Boniwell experte en psychologie positive.

07/03/2022

Ilona Boniwell a importé la psychologie positive en Europe, avec tout le soutien du fondateur de cette science, Martin Seligman.  

Elle a fondé et dirigé le premier Master de Psychologie Positive Appliquée à l’University of East London et est Professeur associée dans de prestigieux établissements universitaires, dont HEC et l’École CentraleSupélec. En parallèle des nombreuses recherches qu’elle mène, elle a produit 9 livres, de multiples articles scientifiques, une chronique mensuelle pour Psychologie Magazine et a déjà donné plus de 150 conférences à travers le monde. En 2012, elle a fondé la société Positran, Positran crée des outils psychologiques fondés sur la recherche scientifique et développe des programmes de formation pratiques pour optimiser la performance, l’engagement et le bien-être des groupes et de l’individu en entreprise ainsi que dans le domaine de l’éducation et la parentalité positive.

Begood : Ilona, l’une de vos expertises est l’usage subjectif du temps et la perspective temporelle … Comment faites-vous pour préserver du temps pour vous, avec toutes vos activités !

Ilona : C’est parfois un peu compliqué, mais j’ai établi des règles très strictes que j’essaie de suivre. Car pour avoir le sentiment d’avoir du temps, le « Time influence », il faut absolument s’accorder un petit peu de temps pour soi-même chaque jour, entre 30 à 40mn, pour faire ce qui nous plaît. Lire un roman, cuisiner, marcher, c’est du temps pour soi qu’il faut protéger. Et le Week-end, c’est fini, je ne regarde et ne répond plus à mes mails, « digital detox » jusqu’au lundi.  

C’est dur au début, cela demande beaucoup de discipline mais cette autodiscipline, faite de protection et de rigidité, apporte tellement de bénéfices que ce n’est pas si difficile.

Begood : Pouvez-vous nous donner une définition simple de la Psychologie Positive ? Et en quoi se différencie-t-elle de la psychologie « classique » ?

Ilona : C’est la Science du bien-être, du bonheur, de nos forces, de tout ce qui va bien dans notre vie. Le plus important dans cette définition c’est le mot Science, car c’est une discipline scientifique, la science de l’épanouissement. Elle n’est pas basée sur un « simple » partage d’expériences, ou sur quelque chose qu’on pourrait deviner, mais sur des études robustes. Cela veut donc dire que ça peut évoluer au fil des années, car il y a des recherches continuellement. Ce qui était vrai il y a 10 ans ne l’est peut-être plus aujourd’hui. 

Par ailleurs, il n’y a pas beaucoup de différences avec la psychologie classique, juste une différence d’accent, d’angle de vue car jusqu’en 1998, c’était surtout l’anxiété, la dépression, les maladies mentales qui étaient étudiées. La Psychologie Positive a apporté ce changement de perspectives, car il n’y avait pas eu de recherche sur le bonheur, les forces humaines, les capacités, les ressources. Alors pourquoi ne pas investiguer tout ce qui est bien avec les gens, scientifiquement. Ce n’est pas différent non plus car on utilise les mêmes méthodologies que la psychologie classique, ce sont juste les thématiques qui sont – elles – autour de l’épanouissement.

Cela ne veut pas dire non plus qu’on ne regarde pas ce qui ne va pas. Ce n’est pas une vision naïve de bisounours. Par exemple en intervention en entreprise, on peut avoir un vrai problème de climat de confiance… mais regarder positivement la capacité d’autonomie qui est présente.

Begood : Pour aller plus loin, existe-t-il une définition du Bonheur ou du Wholebeing ? Et êtes-vous Epicurienne ou Stoïcienne ?

Ilona : Plusieurs définitions circulent scientifiquement, en particulier la différence entre le bonheur hédonique et le bonheur eudémonique. Le bonheur hédonique correspond à notre niveau de satisfaction avec la vie, comment va notre vie globalement. C’est une sensation cognitive de notre vie, où on ressent plus d’émotions positives que d’émotions négatives. Ces émotions peuvent être globales, comme la sérénité, la paix… Il faut une prévalence d’émotions positives pour globalement se sentir bien.

Le Bonheur eudémonique vient d’Aristote, cela signifie qu’on a une vie pleine de sens, et qu’on se développe et on grandit progressivement dans cette vie. C’est un bonheur plus concerné avec le développement, le dépassement de soi, l’accomplissement, la contribution aux autres. 

Ces deux versions du bonheur pourraient se comparer à l’Etre versus Devenir (et non l’Avoir versus l’Etre). Le bonheur est un équilibre entre ces deux concepts.

Begood : Vous le disiez, l’approche de la Psychologie positive s’appuie sur des études scientifiques robustes, étayées, avec des méthodologies éprouvées et une mesure des résultats. Pouvez-vous nous en donner les principales caractéristiques et les dernières avancées ou découvertes scientifiques ?

Ilona : Il y a des études scientifiques sur beaucoup de sujets : quelles forces, quel capital psychologique, quelles ressources pour faire face aux difficultés, l’intuition, l’optimisme, la résilience… la psychologie positive recouvre une vaste collection de sujets pour lesquels nous avons des avancées scientifiques.

Par exemple, la découverte du rôle du sens au travail est déterminante. Le Sens compte parmi les leviers d’épanouissement au travail, notamment pour accroître l’engagement au travail. 

Pour trouver ce sens, on a découvert qu’il y avait 3 niveaux : 

– Le Sens dans mon travail, « mon travail est-il utile pour quelqu’un? « .

– le Sens global de ma vie, « à quoi sert ma vie et comment cela contribue au sens dans mon travail ? « .

– La mission de l’entreprise pour la Société, « à quoi sert cette organisation, est-ce qu’elle transforme la vie des autres et est-ce que mes valeurs sont alignées avec celles de mon entreprise ? « .

Quand on mesure le sens au travail dans sa complexité, on trouve beaucoup de leviers. 

Begood : En termes d’applications pratiques, en entreprise, dans l’éducation des enfants, ou au quotidien pour son propre développement personnel, quels sont les bénéfiques attendus ?

Ilona : 

En entreprises, les interventions visent à augmenter l’engagement des salariés. Car pour obtenir la performance, il faut obtenir l’engagement des salariés. Et si on veut atteindre une performance durable, on a aussi besoin de bien-être en plus de l’engagement. On commence d’abord par faire un état des lieux du niveau d’engagement, des leviers qui peuvent être actionnés, puis on orchestre la mise en place de l’intervention pertinente pour répondre à la problématique.

On peut utiliser les mêmes méthodes à titre personnel.

Begood :  Pouvez-vous nous donner quelques exemples d’outils utilisés ?

Ilona : Par exemple les cartes d’actions positives : 64 méthodes scientifiquement validées, passées par des méta-analyses, qui ont prouvé que toutes ces actions vont avoir un impact. Par exemple la carte « activités physiques », la carte « Repérer les émotions positives de la journée », « Focus sur une ancienne expérience positive pour se replonger dedans », « la Pleine conscience » … Les ressources sont très nombreuses.

Begood : Dans un autre registre, que pensez-vous des affirmations positives ?

Ilona : C’est intéressant. Jusqu’ici j’étais partagée car j’avais lu des critiques scientifiques qui montraient que si l’estime de soi est déjà faible, cette technique ne fonctionne pas voire elle est plutôt contre-productive, surtout si les affirmations suggérées sont trop décalées, trop hautes avec leur propre sentiment. Mais il y a des recherches qui montrent que si les affirmations sont modérées, par exemple sur l’autonomie « je suis à l’aise avec moi-même » …, si elles sont basées sur la sagesse et raisonnables, avec un regard bienveillant, alors ça fonctionne.

Une des méthodes que j’aime beaucoup, c’est « une porte se ferme, une autre s’ouvre ». Si à un moment de sa vie, on vit un moment difficile par exemple la perte d’un client, un divorce etc…. On peut se dire « OK cette porte est fermée, mais cela donne l’opportunité pour l’ouverture d’une autre porte ». Cela marche aussi en analysant un moment similaire qui a eu lieu dans le passé et prenant conscience qu’une autre porte s’est ouverte. Des crises naissent de nouvelles opportunités. 

Beaucoup de recherches évaluent l’impact de ce type de méthodes. On sait qu’elles sont efficaces, avec un changement de près 5% de positif en plus.  Et si on devait traduire ces 5% en équivalent « financier », cela correspond à un complément de 1200€/mois en perception !

Une autre méthode est l’identification de ses forces. Il existe 4 ou 5 diagnostics différents de ses forces. VIA – Values In Actions – par exemple positionne les Forces comme des valeurs dans nos vies, c’est donc générique et universel, mais limité si on veut en faire un usage plus spécifique. Il existe d’autres classifications avec beaucoup plus de types de forces détaillées (ex planification, gestion de temps…), donc plus adaptées pour le monde du travail.

Begood : Le contexte de crise sanitaire, sociale, économique, et même climatique, ne donnerait-il pas une importance encore plus forte à l’adoption de la psychologie positive, tant par les décideurs que les éducateurs ?

Ilona : 

Pour une partie des actions oui. Par exemple je travaille avec les Emirats Arabes Unis qui sont très riches mais qui ne sont pas heureux. Ils ont demandé une étude sur le Bien-être et l’engagement au travail.

La Psychologie positive, c’est une collection d’outils et de mesures scientifiques qui doivent répondre à un besoin, mais un besoin qu’il faut clairement exprimer. 

Ce qui est clé en ce moment, c’est le soutien à la santé mentale. Pendant l’été 2020, l’ONU a communiqué sur le fait que la plupart des pays avaient un niveau de prévalence pour des problèmes de santé mentale de 20 à 40%, (anxiété et dépression), c’est vraiment très élevé, le taux était avant de 11/12% ! Cette différence est énorme. La plupart des pays développés sont touchés, alors même qu’ils sont stables, démocratiques et que l’impact économique de la crise sanitaire n’était pas encore arrivé. La Psychologie Positive peut clairement aider, notamment sur la résilience, être conscient de nos ressources et travailler dessus, de façon précise, avec des actions précises, par une approche pragmatique. 

On a beaucoup de connaissances sur la résilience. Pendant le premier confinement, nous avons souhaité aider autrui en proposant à des personnes volontaires de participer au programme « Spark Résilience© », au cours de 8 sessions d’1h30, avec jusqu’à 150 participants. On a mesuré un vrai résultat positif comme la réduction de stress, d’émotions négatives etc… Ces résultats sont possibles justement parce que la résilience peut se définir et se mesurer. On connait tous les mécanismes cognitifs et comportementaux associés… Il est donc possible d’apprendre à changer ses perspectives, à réguler ses émotions, ce n’est pas très compliqué et adaptable à chacun.

Je dirai que la principale contribution principale de la Psychologie positive aux enjeux sociétaux d’aujourd’hui, c’est d’apprendre à renforcer sa résilience.

Begood : est-ce votre prochain cheval de bataille ?

Ilona : Oui clairement, c’est un de mes prochains défis. Mais j’en ai beaucoup d’autres, notamment tous les sujets liés à la transformation de l’entreprise.

Je ne suis pas la grande prêtresse du Bonheur. Mais je suis convaincue que nous pouvons accroître l’épanouissement dans l’entreprise, par la résilience individuelle, mais aussi en développant la résilience au niveau d’une équipe, en identifiant leurs forces par exemple. Car on ne travaille pas seul ! Notre efficacité globale dépend du collectif. Donc comment aider les collectifs à bien travailler ensemble. 

Begood : Pour conclure, lors d’une conférence, vous aviez insisté sur le sport comme l’ingrédient clé du bien-être ?

Ilona : Absolument… les actions psychologiques comme le partage, l’écriture, peuvent être efficaces, avec un impact d’environ 5%. 

Mais là où il y a clairement le plus d’efficacité, finalement, c’est l’activité physique, en premier. Le deuxième ingrédient, c’est le sommeil. Le phénomène de dépression chez les jeunes aujourd’hui est expliqué par le manque de sommeil. Et le 3ème ingrédient, c’est la méditation pleine conscience. Ensuite seulement vient la Psychologie positive. 

Ces ingrédients sont simples, mais passer de le savoir à le faire, ça, ce n’est pas simple !

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